Un été sans fin - Rosās amāmus
Nota bene: le vendredi, Lakevio publie sur son blog la reproduction d'une toile, d'un artiste connu ou moins connu. Cette peinture sert de guide pour une création littéraire. Le lundi, Lakevio donne sa version. Dans les commentaires, ceux qui proposent un texte indiquent l'adresse à laquelle leur prose peut être lue. Il est intéressant de lire ces textes, souvent cousins dans la trame mais tous avec leur caractère et leur style.Lakevio, c'est à cette adresse: (ICI)
Les roses blanches
Oubliez, s'il vous plait, Berthe Sylva ou Tino Rossi.
Pas de drame, ici !
Au gué, vivent les roses sous la tonnelle !
Un petit tour à Bagatelle ?
Enivrez-vous d'odeurs.
Saisissez l'heure !
Revenez lundi avec un joli bouquet d'idées !
Igor Levashov
Rosās amāmus
Je t’aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout, je t’aime...
Pour la troisième journée consécutive la bise court sur le Plateau suisse. Elle soulève les jupes des filles, couche les blés presque mûrs, emporte avec elle, dans sa course folle, les parasols mal arrimés et croûte la terre.
Dans la ruelle, abritée par une grande bâtisse, les tilleuls arrivent en fin de floraison. Les narines sont encore chatouillées par ce parfum enivrant qui s’échappe des fleurs. En passant au pied des arbres, on entend un bourdonnement, un grondement sourd. Ce sont des milliers d’abeilles qui, sans relâche, du lever au coucher du soleil, butinent. Le miel d’automne aura des notes de tilleul.
Je t’aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout, je t’aime...
Dans la cuisine, la cafetière italienne est sous pression. Sur le poste à galène, Mélina Mercouri égrène une chanson en grec. Une ritournelle d’un film, oublié, dont elle fut la vedette. La belle lumière du soir s’est installée. Des bulles paressent dans une flûte à champagne.
Je t’aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout, je t’aime...
Quelque part en Russie, dans la surface de réparation d’un stade, l’Uruguay mène 2 à 1 contre la Lusitanie. La rencontre en est à la 75e minute. Tout peut encore basculer et parfois cela se termine par des tirs au but. Cette agitation sportive, qui secoue le globe terrestre, pour autant que la terre soit ronde, certains pensent qu’elle est plate et soutenue par quatre tortues, est nourrie par le championnat du monde masculin de balle au pied, #RussieFIFA2018.
Je t’aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout, je t’aime...
Dans le jardin, La Fée des neiges, un cultivar fort répandu de rosier floribunda, est resplendissant. Cré en 1958 en Allemagne par Reimer Kordes, ce rosier a été commercialisé sous le nom de “Schneewittchen”, Blanche Neige. Dans les pays anglophones, ce rosier est connu sous le nom d' "Iceberg". C'est un croisement de "Robin Hood" (1927, Pemberton), hybride de Rosa moschata, et de "Virgo" (1947, Charles Mallerin), hybride de thé. Planté dans le jardin depuis plus de 30 ans, c’est la propriété et l’orgueil de la vieille mégère, apprivoisée depuis le temps, du troisième.
Je t’aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout, je t’aime...
Peu à peu le paysage s’assombrit. La nuit tombe. Les chats du quartier partent à la conquête de territoires. Des cris perçants retentissent aux coins des rues. Après la bataille, dans le silence retrouvé, les vaincus, estampillés d’un œil au beurre noir, rentrent penauds au bercail. Ils échafaudent déjà des plans revanchards pour le prochain samedi.
Je t’aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout, je t’aime...
En fin d’après-midi, à l’heure des quatre heures, une tragicomédie en 3 actes, s’est déroulée dans le jardin. Zoé quatre ans a crié “Maman, je t’aime à la folie” en brandissant fièrement les restes d’une rose. Au même moment, un coup de bise plus violent que les autres passa par dessus le mur du jardin. Le courant souleva des centaines de pétales de roses blancs qui jonchaient le sol, tandis que la mégère du troisième tombait en pâmoisons dans un cageot de pommes en murmurant “ma fée des neiges”. Le rosier se balançait, déshabillé de ces fleurs, dans le souffle d’air mourant.
Dans la boîte aux lettres du locataire du premier, dort une carte postale. Le cachet postal, illisible, s’étale en pâté sur un timbre italien. Sur la photographie, prise d’avion, on voit des parasols alignés qui cachent la plage de sable. La bise n’est pas passée par Rimini. Au dos de la carte, on pourra lire, "Mon cher Franz, je te souhaite un été sans fin. Eva."